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27 Jun

J'aurais dû faire un blog anonyme

Publié par labelette  - Catégories :  #L'angoisse du jour

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Et si on parlait lampes? 

Tandis que je narrais tout à l'heure à un ami une mésaventure qui m'est arrivée avec ce blog, il s'est souvenu d'un reportage qu'il avait vu jadis, une histoire de 5 bergères espagnoles qui vivaient ensemble depuis une dizaine d'années. Ces dernières affirmaient n'avoir jamais connu le moindre accroc à leurs relations, dans leur bâtisse tout n'était que rires et harmonie, bonheur et complicité.

Quoi, pas une seule engueulade, petite friction, léger agacement, RIEN?

Non, rien. 

Mais quel est votre secret? 

Le secret des relations sereines et épanouies, c'est de NE JAMAIS PARLER D'AUTRUI EN SON ABSENCE.

Avec mon ami, on s'est dit ouais pas bête, ya un truc à creuser, là.

Et puis, j'ai réalisé que depuis quelque temps, c'était un peu ce que je faisais avec mon blog, je l'avais en quelque sorte lissé.

Parler d'autrui, c'est prendre un risque.

Attention, ne nous méprenons pas, Autrui adore qu'on parle de lui.

A certaines conditions.

"Hier, j'ai vu un ami d'un ami, quelqu'un de rare qui fait de chacune de nos rencontres un moment d'émerveillement. Je suis toujours à la fois admirative de son sens du style, de la force de ses analyses et de son charme addictif."

Là, Autrui est content.

Ici, moins.

"En dépit de toutes mes manoeuvres d'évitement, je n'ai pu échapper hier à un café avec un ami d'ami. Entre son surlook pathétique, ses réflexions vaseuses et son charme qui n'attire que lui, c'est un calvaire renouvelé de le voir".

Dans les deux cas, l'ami d'ami se sent visé et c'est normal : il l'est.

Seulement, bien évidemment, puisque je tiens un blog non anonyme (quelle conne putain), je ne peux pas me permettre (même si ce serait parfois un grand kiff) de décrire les choses telles qu'elles sont (bon, ok, telles que je les perçois). 

Ma cousine Stéphanie m'a dit tel truc, elle est gonflée, elle ne s'est pas regardée = perte de la cousine

Mon amie Viviane m'a fait passer l'une des pires soirées de ma vie, elle a été odieuse, s'est prise pour un procureur. Je n'y peux rien si elle est aigrie = perte de l'amie

Nous sommes tous amenés à avoir des agacements, y compris sur des proches. Ils ne signifient pas qu'on ne les apprécie plus, ni qu'on les enverrait bien au bout du monde par la Poste.

La blogueuse non anonyme ne peut, même sans nommer la personne, se contenter de saisir l'agacement et de le décrire. Cela ruinerait sa vie sociale, ce qui n'est pas exactement l'objectif d'un blog. Tout simplement parce que la personne concernée ne se dirait pas "là, je l'ai agacée, j'ai peut-être déconné" ou "hum, voici un point sur lequel nos interprétations divergent" voire "haha j'ai trop kiffé quand t'as balancé sur moi, c'était un peu exagéré mais super drôle" (la classe).

Alors, comme il faut pas déconner, et que le blog d'humeurs n'a d'intérêt que si on peut y déposer (avec rage, tendresse, tristesse, plaisir...) ses humeurs, la blogueuse non anonyme considère finalement uniquement ce qu'elle a ressenti, et remodèle la réalité à partir de là.

Comment évacuer l'angoisse qu'a généré cette discussion? 

Et hop, je puise dans tous les exemples possibles de quoi traduire cette angoisse, pour que ce soit bien clair. Un peu d'un échange avec untel, un truc entendu l'autre jour, quelque chose d'il y a 5000 ans que j'ai jamais avalé. Je n'ai alors plus le souci de décrire ces trucs réellement, mais ce que j'en ai gardé, la façon dont tout cela s'est transformé chez moi. Untel, se sentant visé pourra alors dire : "mais j'avais pas exactement dit ça". 

ON S'EN FOUT.

Ce qui compte, c'est moi, chéri. Pourquoi quelque chose comme ça a eu cet écho-là chez moi, pourquoi j'en ai fait ça.

Ensuite, comme vous êtes des lecteurs exigeants, brillants et spirituels, la blogueuse non anonyme ne vous livre pas un simple tissu d'exemples, elle en fait une histoire à part entière, à laquelle elle injecte une dose d'invention et de broderie, pour que ce soit plus joli. 

En résumé, la blogueuse humeurs non anonyme vous emmène dans une réalité très personnelle, dans ses perceptions, ses émotions, son propre flou auquel elle fait prendre différentes formes pour le faire exister autrement. 

Cette réalité très personnelle qui prend corps dans un blog est encore différente de la réalité très personnelle de la vraie vie. Elle la mobilise et y injecte autre chose, la remanie encore, la rend plus glorieuse, plus infâme ou moins lourde à porter. Tout dépend de ce que l'auteur veut faire de ce qu'il a ressenti face à la réalité initiale (le truc qui s'est vraiment passé) : j'ai ressenti de la peur, je veux la transmettre, mais en même temps, je veux arrêter d'avoir peur. J'ai été énervée, je veux qu'on me comprenne, et qu'on s'énerve avec moi ainsi l'énervement passera.

Pour tout cela, le blogueur est prêt à tout, il met des guirlandes à la réalité, de la musique qui angoisse, il rend les animaux gobeurs de carte vitale, devient un serial killer nocturne ou prive de sucette un enfant pénible. 

On a quitté la réalité, mais le message est là.

J'ai stressé.

Je suis saoulée.

J'ai paniqué.

J'ai été déçue.

Je suis triste.

J'ai kiffé.

Les lecteurs, en majorité j'ose l'espérer, ne se soucient aucunement de savoir si l'ami que je décris est en réalité une amie, s'il c'est bien un déjeuner que j'évoque et pas un dîner. Ils comprennent que non, je n'ai pas ôté des mains une sucette à un enfant qui prenait un malin plaisir à m'énerver, que je ne tente pas d'étrangler mon marido quand il fait semblant de dormir pour ne pas gérer les nuits des bébés, etc.

Le problème peut éventuellement surgir de ceux qui me connaissent et peuvent se sentir visés, et pas comme ils l'auraient souhaité.

Attends, le personnage que t'as évoqué, là, ce serait pas moi? Je ne me reconnais pas du tout (faudrait savoir).

On se sent visé, mais on ne reconnaît pas l'image qu'on voudrait donner de soi. On passe pour un con et on n'aime pas. Oui, personne ne sait que c'est moi, mais ça veut dire que c'est ce que tu penses vraiment de moi.

Voilà pourquoi, suite à deux-trois épisodes d'incompréhension (façon de parler), j'ai supprimé les récits évoquant des personnes.

Voilà pourquoi j'ai plus que restreint le nombre de billets. 

Un peu trauma, la meuf.

Alors, oui, ne jamais parler d'autrui en son absence, ce serait l'une des clés pour un apaisement général. Mais je ne peux que constater qu'un blog, le mien en tout cas, vidé de sa vertu de sas décompressif, de retraitement salvateur de la réalité, perd une bonne partie de sa substantifique moëlle.

Il me semble utopique et irréalisable de ne jamais parler d'autrui en son absence dans nos sociétés. C'est un magnifique principe, je le crois sincèrement, mais le chemin est trop long.

Parler d'autrui, cela ne signifie pas (pas seulement!) cancaner à son sujet, ce peut être simplement raconter un échange, évoquer un agacement, confronter des perceptions dans un but bienveillant.

Parler d'autrui, et c'est là où je veux en venir (pour les courageux qui ont suivi ce post), c'est surtout parler de ce qu'autrui produit sur nous, et donc parler... de NOUS.

Quand on parle des autres, on dit beaucoup de nous-mêmes et de notre façon d'être.

C'est mon cas, ici, je ne parle jamais d'autrui pour le juger, mais pour me comprendre, calmer mon esprit, me poser.

Je ne perds jamais de vue que l'autre que je décris pourrait être moi. Qu'il a des circonstances atténuantes. Que je pourrai en exprimer tout autre chose. Que je n'en livre qu'une perception, et momentanée.

De la même manière que je déteste, par exemple, qu'on me dise "C'est cool, comme je lis ton blog, ça me permet d'avoir de tes nouvelles", je ne veux réduire quiconque au portrait que j'en aurais dressé un jour, à cette vision qui aura été la mienne à cet instant-là.

La seule clé qui nous est accessible, je crois, c'est de réaliser que nous ne sommes jamais que des êtres humains, tous aussi faillibles.

Se calmer chacun avec l'image que l'on veut renvoyer, ce serait peut-être un bon début pour des relations plus sereines, non?

PS : je pense que je vais réintroduire Autrui dans mes billets, en dépit des risques. C'est chiant, sinon.  

 

 

 

 

 

 

 

Commenter cet article
T
<br /> Moi, je blogue en anonyme depuis le début, et sans que mes proches le sachent. C'est vrai que ça offre une liberté de ton que je n'aurais pas si je blogait à visage découvert. Et même si j'aborde<br /> des sujets légers, ça m'évite d'être jugé par mes proches, par les gens que j'aime : car ce sont souvent les critiques des gens qui nous sont proches qui nous touchent le plus. Par contre, du<br /> coup, il faut aussi trouver un lectorat qu'on a pas naturellement (puisque les proches méconaissent le blog).<br /> <br /> <br /> Anonyme ou non, c'est un choix, avec un certain nombre d'avantages et d'inconvénients. Mais quoi qu'il arrive, un blog reste public, donc mieux vaux ne pas trop critiquer des gens qui pourraient<br /> tomber dessus (proches, employeurs, collégues...)<br />
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S
<br /> Le seul truc qui cloque c'est que tu ne sois pas une blogueuse anonyme (bien que perso je ne saurais pas où trouver ton état civil..mais bon j'en déduis que tes proches savent que tu blogues).<br /> L'anonymat permet de tout dire en toute mauvaise foi. A ta place je reparlerais d'Autrui, change deux ou trois détails (Albane fait ça très bien) et le tour est joué (sauf quand tu évoques celui<br /> qui mange que 4 aliments, je pense qu'il pourrait se reconnaître)!!<br /> <br /> <br /> Mes articles préférés de la Belette sont ceux où elle se plaint des autres parce que ça nous fait tous pensé à quelqu'un...et j'aime bien aussi celui où tu parlais du couple parfait en nous<br /> disant aussi qu'ils étaient hyper sympas. Bon, je me perds en chemin là...pardon c'est dimanche<br />
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L
<br /> J'ai intitulé mon blog : "La vie des autres". Comment ne pas être pas d'accord avec toi ?<br />
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P
<br /> J'ai comme l'impression que Jérôme Cahuzac a été vexé par ton précédent billet...<br />
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M
<br /> Moi j'aime bien Autrui, particulièrement quand c'est la Belette qui en parle.<br />
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G
<br /> Autrui ! Autrui !<br /> <br /> <br /> Ô tuerie !<br /> <br /> <br /> Oh, tu ris ??<br />
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A
<br /> "parler d'autrui" ce n'est pas "écrire sur autrui". Tu peux donc arrêter de te censurer, chouette !!!<br />
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G
<br /> Bon sang, je me suis grave sentie visée à travers ton article... C'était dirigé contre moi toutes ces attaques gratuites ou pas ? <br />
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J
<br /> Alors là, mission impossible: sacrifier autrui pour un bon mot, voilà le kiff absolu! Je veux des nounous barrées, des esthéticiennes foldingues. C'est pour ça qu'on vient. <br /> <br /> <br /> Quant à se sentir visée, je crois que je me suis incarnée dans tous les plus affreux toxiques de ta galerie. Salvateur, donc. <br />
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S
<br /> "On se sent visé, mais on ne reconnaît pas l'image qu'on voudrait donner de<br /> soi." Ou bien au contraire, on voit ses pires angoisses ; je me dis parfois : "et si j'agissais<br /> comme ça ??? si je faisais ça, moi aussi ? non mais quelle horreur!" Du coup, je me confesse mentalement chez toi. "C'est vrai, c'est moche quand je dis ça / fais ça". <br /> <br /> <br /> Ne jamais parler d'autrui en son absence : l'astuce est géniale. Je retiens. On verra si je<br /> tiens bon (PS est-ce que Raf Simons, Karl L.  ou Marc Jacobs peuvent bénéficier d'une excemption ? sinon, je suis mal, je perds mon fond de commerce). <br />
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V
<br /> En tout cas, il est chiant, Autrui ! Et parano. Et il est con, en plus.<br /> <br /> <br /> Si son égo était un rien moins démesuré, il se serait pris une baffe en lisant un billet, aurait coupé les ponts avec toi, et puis basta.<br /> <br /> <br /> Mais non, il faut qu'il revienne chercher des baffes pour s'en plaindre et te prendre la tête. Et nous la prendre, par la même occasion.<br /> <br /> <br /> Son Prochain est plus agréable, on l'aime, lui, et ça, c'est bien vu ! :p<br />
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A
<br /> Non mais attends, si on ne parle plus d'autrui, on va parler de quoi alors ? Je suis contre ! Je dirais que si on parle d'autrui, c'est aussi qu'on s'intéresse à autrui. Alors oui, on critique<br /> les défauts d'autrui, mais on est peut-être plus à même d'apprécier les qualités d'autrui que ceux qui ne parlent de rien, ou juste d'eux-mêmes. Qu'en penses-tu ?<br />
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