La normalité
Jusqu'ici, j'avais un doute.
Une infime partie de moi se laissait encore bercer par l'illusion que peut-être, sur un malentendu, je pouvais être considérée si ce n'est comme une mère parfaite, comme une mère disons... normale.
Une petite semaine à la maternité de la clinique Sainte Félicité a définitivement scellé mon statut.
Je vous épargne le récit (passionnant toutefois, mais je le réserve aux malheureux qui m'ont posé la question du "comment ça s'est passé?") des différentes étapes m'ayant conduite au bloc opératoire à 18h un certain mardi pour donner naissance à celle qui deviendrait la petite soeur de Chouquette.
Ce qui est très sympa dans une césarienne, c'est (je précise que les paragraphes ci-dessous ne concernent que moi) :
- cette sensation d'un corps nouveau, qui serait scindé en deux : une partie paralysée avec des gens qui jouent au docteur Maboule à l'intérieur (mais en moins marrant, curieusement), et une partie qui, elle, bouge, très très très bien, ambiance je tremble comme une dingue et mes dents claquent en continu. Parfois, alors que je me concentrais pour garder mes mains en place ou faire genre lalalalalla, je voyais passer une jambe dans mon champ de vision (une analyse rapide me permettait de déduire qu'il s'agissait bien d'un membre m'appartenant)
- ces petits rappels à l'ordre pas du tout anxiogènes : "Madame, ne lâchez pas vos bras" (attends, t'as cru que j'avais un master en gestion du tremblement?), "Non, là, ça va pas aller, il faut que vous respiriez normalement", "Faites attention à vos mains".
- le cours que mon gynéco a donné à une étudiante infirmière pendant MA césarienne, et qui m'a permis de faire totalement abstraction du contexte médical "Alors là, on pratique une incision en endodermato sur 6 cm, on contourne le péritoine, vous voyez, on arrive dans la phase la plus complexe et délicate... (pour les médecins qui liraient ce passage, pardon, c'était pour donner une idée...). Pour celles (en l'occurrence, moi) qui auraient eu l'idée d'essayer de se détendre, c'est raté (j'ai pas réussi à associer mentalement mon péritoine à des vacances ou à une après-midi dans un spa).
- ce petit froid qui nous accompagne tout le long de l'opération (moins 50°C) et qui semble avoir été créé pour faire diversion (on sait pas si on tremble par panique, à cause du froid ou, selon mon gentil anesthésiste, "juste à cause de la péridurale, c'est TOUT A FAIT NORMAL MADAME" (il avait bien perçu ma légère propension à basculer dans l'angoisse à la moindre note dissonante)
Je dois reconnaître que le "c'est normal" a sur moi un effet considérable.
Une certaine expérience en la matière me permet d'aboutir à une équation systématique que je ne manquerai pas de bien indiquer à qui de droit si je suis un jour à nouveau docteurmaboulée.
- Docteur, vous serez mignon de bien vouloir me dire pendant toute l'opération "c'est normal, tout va parfaitement bien" à chacun de vos mouvements et des miens, et ce, quels que soient vos doutes sur la question, c'est juste parce que J'AI PAS BESOIN DE TOUT SAVOIR PUTAIN et que JE VEUX FAIRE LALALALA tranquillement.
Il aurait ainsi été de bon ton que l'infirmière qui m'a récupérée en salle de réveil me dise "C'est normal, tout va parfaitement bien" quand ma jambe gauche ne daignait toujours pas ressentir un semblant d'émotion au bout de 5 heures (alors que l'autre se la racontait à faire des petits ponts), plutôt que "Toujours rien?" répété toutes les 10 mn (comment est-ce possible, vous ne récupérerez jamais votre jambe!?).
En parlant d'infirmière (ou puéricultrice, j'ai jamais réussi à assimiler les codes couleurs des blouses), j'ai à coeur de vous parler de Blandine. Une vraie rencontre...
Au bout de 2-3 jours, je dis à Blandine qu'il me faudrait un petit décontractant pour la nuit.
- On vous en a déjà donné alors qu'on n'avait pas le droit, on va pas commencer à vous en donner à chaque fois.
- Je n'en ai pas pris hier, et j'ai déjà fait 3 nuits blanches.
- Vous n'avez toujours pas pris votre bébé la nuit?
- (oh putain) Euh, non... (je commence à me justifier, une nuit de contractions, une nuit avec une réaction à la morphine, et pis la césarienne blablabla)
- Ah bon, c'est étonnant parce que GENERALEMENT LES MAMANS VEULENT QUAND MEME GARDER LEUR ENFANT AVEC ELLES.
Le lendemain, je la recroise et lui demande un coup de main pour un biberon.
- Attendez, on a d'autres choses à faire, vous pouvez lui donner, non?
- Oui, j'ai juste super mal, mais bon.
- (elle est au comble de la stupéfaction) Non parce que NORMALEMENT LES MAMANS QUI VIENNENT D'ACCOUCHER VEULENT S'OCCUPER DE LEUR BEBE.
Dans la foulée, je discute avec la femme de ménage. Alors qu'elle débarrasse mon plateau, sur BFM TV passent en boucle les "vidéos exclusives de DSK sortant du Sofitel". Elle me donne son avis sur la question.
- Moi je dis, il peut pas avoir violé la femme là. Parce que la fellation, on peut la faire d'une certaine manière, pour pas qu'il ait le plaisir, vous comprenez. Et lui, il a eu le plaisir, alors moi je dis qu'il l'a pas obligée, vous comprenez?
Devant mon air curieux/enthousiaste/interrogateur, elle enchaîne par une série de démonstrations bucco-dentairo-linguales supposées m'éclairer sur la question de la fellation qu'on a envie de faire versus celle qu'on veut pas faire.
La scène atteint le summum du comique quand nous sommes interrompus par l'arrivée d'une bonne-soeur...
Bref, la femme de ménage à laquelle je confiais mes énervements blandiniens avait tout de même eu le temps de me préciser qu'une simple plainte de ma part à d'autres personnes du service ou, mieux, à une soeur, mettrait un terme immédiat aux remarques inopportunes.
Je ne manquais pas donc pas de mentionner très rapidement aux gentilles collègues de Blandine que "j'avais été très choquée par les remarques culpabilisantes d'une personne du service".
Et en effet, tout roula dès lors (je pense que mon cas a été détaillé à chacune des transmissions entre équipes, il faut dire que dans le micro-service où j'étais nous étions 2 patientes cette semaine-là), puisque chaque jour j'eus droit à un "Bonsoir, souhaitez-vous un décontractant pour bien dormir, C'EST NORMAL D'ETRE FATIGUEE ET D'AVOIR MAL?", et à "De quels biberons voulez-vous qu'on s'occupe cette nuit?".
J'ai tout de même croisé une dernière fois la route de mon amie Blandine le dernier jour, alors que je demandais pourquoi ma fille qui jusque là avait émis disons 2 minutes de pleurs depuis son émission terrestre avait passé la nuit à pleurer.
Blandine, dans toute sa splendeur me répondit : "Votre fille n'avait rien, mais VOUS POUVEZ VOUS ATTENDRE A PASSER TOUTES VOS NUITS A L'ENTENDRE PLEURER COMME CA, vous êtes préparée".
Finalement, non, erreur sur toute la ligne, puisque le retour à la maison fut plus glorieux (nuits calmes, enfin sans pleurs).
Voilà comment j'appris que Blandine n'avait pas de don de voyance (ni d'infirmière).
Je me demande cependant si je dois lui envoyer un courrier pour lui préciser qu'en fait j'avais quelque chose qui s'ajoutait aux douleurs de la césarienne, et que donc c'était pour ça que je ne pouvais pas trop prendre le bébé au début, vous voyez parce que voilà, vous comprenez...
C'EST NORMAL de vouloir être une mère normale?