Ma fille a un gros potentiel
Bien. A partir d'aujourd'hui, je vais réinjecter Autrui dans mon blog et pas qu'un peu.
Autrement, il me faudrait changer ma signature "Postures et impostures d'une Belette", et ça m'épuise d'avance.
C'est dingue ce qu'on s'emmerde quand on peut pas déblatérer tranquillos.
Bref. J'ai récemment eu l'occasion d'assister à une commission d'appel dans un collège-lycée.
Ah bon mais c'est quoi? Ben, c'est quand les méchants professeurs ont pris une décision en fin d'année qui ne sied pas à l'enfant et donc aux parents.
Comment? Mon fils qui a 4 de moyenne en maths ne passe pas en 1ère S?
Mais comment pouvez-vous oser ORIENTER ma fille en filiale pro?
Que mon enfant REDOUBLE, mais vous vous droguez ou quoi?
Pendant la journée, nous (oui, j'ai dit nous) (on s'en fout du contexte, j'y étais, c'est tout) avons reçu une vingtaine d'enfants tantôt seuls tantôt accompagnés d'un parent tantôt des deux.
Cette journée en nous plongeant dans différents écosystèmes familiaux nous a fait voler (je plonge et je vole, comme certains oiseaux, très rares) de drame en drame, mais aussi de foutage de gueule en foutage de gueule.
Tous les parents sans exception ont débuté ainsi :
IL FAUT SAVOIR QUE MON ENFANT A UN TRES FORT POTENTIEL, même si les notes, j'en conviens, ne le montrent pas toujours (grave pas).
Best of et pire of.
Du côté des parents :
- "Nous avons bien conscience que les résultats n'ont pas été à la hauteur tout au long de l'année, mais là, on sent que le déclic est imminent".
- "En fait, ma fille est un enfant précoce, elle comprend tout trop vite, du coup elle s'ennuie, d'où ses notes. Elle est beaucoup trop mûre, elle a 15 ans mais ne fréquente que des gens de 25-26 ans. Vous ne pouvez pas la faire redoubler".
- "Bon, c'est vrai, ma fille s'est peut-être un peu trop occupée de ses cheveux cette année (NDLR : la tête de la fille qui aurait bien buté sa mère en cet instant)
- "Le problème si elle redouble, c'est qu'elle aura 1 an de retard, et on connaît notre fille, ça aura un très lourd impact psychologique, elle ne le supportera pas".
- "Si mon fils redouble, il ne sera plus avec ses copains, et ils sont vraiment très importants pour son bien être".
- "C'est vrai, cette année, comme on a eu beaucoup de soucis personnels, on a un peu abandonné notre fils, enfin, pas abandonné, mais on n'a pas vraiment pu nous en occuper".
- "Comme vous l'avez lu dans la lettre, l'oncle de notre fils a été très malade (NDLR : dans la lettre, c'était sa tante), et ils sont très proches. En plus, bon, bien sûr, ça n'excuse pas tout, hein, mais mon fils est dans la même chambre que ses deux frères, et l'un doit impérativement se coucher à 20H30. Du coup, notre fils doit sortir travailler dans une autre pièce, où il y a beaucoup de bruit".
- "Maintenant qu'elle est allée au CIO (Centre d'Information et d'Orientation) (Pipeauland), elle sait qu'elle veut devenir infographiste et pour ça, pour l'école qu'elle veut intégrer, elle doit absolument faire une filière générale, sinon VOUS lui coupez toutes ses chances de réussite et ce sera un énorme gachis".
- "Ma fille n'a pas supporté toutes les injustices qu'i y a eu dans cette classe. Et ma fille est comme moi, elle est très droite, elle a passé son temps à vouloir lever ces injustices, elle ne les comprend pas, et moi-même, je ne les comprends pas (NDLR : mais ta fille, l'année dernière, était déjà en commission d'appel, Madame, t'es sûre que tu as la bonne attitude, Madame avec ton chewing gum en commission d'appel, Madame qui va porter plainte à l'Académie parce que la commission d'appel, c'est injuste qu'on ne laisse pas passer ta fille qui est nulle depuis la nuit des temps?"
- "Je n'ai pas besoin d'expliquer pourquoi je fais appel, je crois que les notes parlent d'elles-mêmes" (oui, le fait qu'il triche sans arrêt parle aussi de lui-même) (ah bon vous ne saviez pas) (attendez d'être dehors pour vous énerver auprès de lui d'être passé pour un con)
- "Regardez comme il a progressé dans certaines matières, c'est la preuve que quand il veut, il peut" (euh, dans quelles matières? bah en physique par exemple. Désolée Monsieur, mais la physique ne sera pas dans ses matières l'an prochain). Vous voyez, il progresse, retenez ça au moins. Monsieur, non, passer de 10 à 8 puis à 6,5, ce n'est pas progresser. Ah bon, mais je pensais qu'une fois il avait eu une bonne note en physique...
Du côté des enfants, nous avons eu :
- le timide-niais
- la timide-là je suis timide mais en classe ja la ramène à tout va et je fous bien la merde
- la serial killeuse (je souris comme une sainte alors que je fais des coups de pute à gogo) (la pire)
- la je vous prends de haut parce que je sais que je suis forte à l'école (vous n'allez pas faire passer en ES alors que l'éco, ça ne m'intéresse pas, j'aime pas ça, alors que j'adore les maths, et si je vais en S, je ferai tout pour réussir)
- la "mes copines m'aident, me stimulent, si je ne les ai plus, je serai triste et renfermée et j'arriverai plus à travailler, je me connais"
-la "mes motivations pour la suite? Ben, juste, j'ai pas envie de redoubler"
- la "alors, en fait, je me suis toujours dit que je ferai une ES, c'était mon but, alors si vous me mettez en pro, j'ai plus aucune chance de faire ce que j'ai toujours voulu" (oui mais pourquoi tu voulais faire une ES? Ben, chais pas").
- la "cette année, j'ai pris beaucoup de temps pour m'occuper de mes frères et soeur, c'était (larmes qui montent) un peu... dur... de ", la (larmes de la mère), "oui, euh, c'est vrai, j'y arrive pas, je suis seule avec mes enfants, je..., je devrais faire plus avec elle, mais je m'en sors pas, je... c'est de ma faute, faites au mieux pour elle" (elles se regardent en coin pour essayer de se reprendre mais la fille ne supporte pas les larmes de sa mère qui ne supporte pas celles de sa fille) (je n'en mène pas très large)
- la pas très bonne mais ultra sympa, drôle, avec de la répartie, vive ("Comment j'explique mes mauvais résultats? ALors, au début, c'était difficile, mais j'ai pris des cours, j'ai tout fait pour bien commencer l'année, et puis, une fois que j'ai eu de bonnes notes, j'ai essayé de voir ce qui se passerait si j'arrêtais de travailler, et bon, ça n'a pas pas marché, on m'a dit que j'irais en bac pro au deuxième trimestre, alors ça m'a tellement démoralisée, je me suis dit que les jeux étaient faits, j'ai plus essayé de redresser la barre")
- le "je me la pète" ("C'est moi qui décide de ma vie") (ben présentement, non)
- le "je dis un truc qui va direct m'enfoncer" : "Pourquoi tu as autant chuté sur la fin, parce que tu ne travaillais pas assez, parce que tu n'étais pas assez organisé, ou parce que ça devenait trop difficile pour toi?" "Parce que c'était trop difficile". "Tu ne comprenais pas les leçons?""non" (intervention du père vénère : "mais pourquoi tu ne nous l'as pas dit quand tu comprenais pas, pourquoi tu ne nous as jamais rien demandé, ah bah Monsieur veut tout faire tout seul"
Quand les parents venaient à deux, nous décelions un grand nombre de signes de désaccords sur la stratégie à adopter (on sent l'imminent "Putain mais qu'est-ce que t'as eu besoin de l'ouvrir sur le mariage de sa cousine?!".
Il est évident que c'est un moment très difficile pour ceux qui passent "on dirait un procès, là" a indiqué une maman, ne mettant pas forcément le jury dans sa poche.
Pas toujours évident d'évaluer le réel impact d'une situation exogène délicate, la capacité de l'élève à réellement vouloir se relever (plutôt que simplement ne pas "avoir envie" de redoubler ou d'être réorienté) ou encore ce qui a vraiment fait défaut à la réussite d'une année.
L'argument du "plus tard, tu t'en foutras d'avoir redoublé" n'a bien évidemment aucun poids à cet âge.
Redoubler, c'est la honte.
La filiale pro, pire.
Tu préfère redoubler ou aller en pro?
Tous répondent "redoubler".
Mais mieux vaut bien réussir en pro plutôt que de se prendre un mur en bac général, non?
Non.
Bon, bah ya du boulot pour redorer l'image de la filiale pro.
Perso, je tire mon chapeau aux profs (je dis pas ça parce que je sais que des profs lisent). J'ai passé mon temps à avoir envie de claquer certains élèves, d'aller prendre un café avec d'autres, de prendre des parents dans les bras et de hurler sur d'autres.
J'aurais été un très mauvais prof, pour ces raisons et surtout parce que j'ai TOUT oublié de ce que j'ai appris.
"Bonjour, alors je suis la Belette et je vais être votre professeur de procrastination et glande. Si vous avez des questions, n'hésitez pas, posez-les à votre entourage".